La troisième rive du fleuve


- "Père, vous êtes vieux, vous avez déjà fait ce que vous deviez faire... Maintenant vous venez, ce n'est plus la peine... Vous venez, et moi, tout de suite, quelle que soit l'heure, selon notre désir à tous le deux, je prends votre place, la vôtre, sur la barque !..." Et, parlant de la sorte, mon coeur battit dans un rythme plus juste.

Il m'écouta. Se leva. Il mania la rame dans l'eau, il s'avançait vers ici, il était d'accord. Et je tremblait, profondément, tout d'un coup : parce que, juste avant, il avait levé le bras et fait un geste de salut - le premier, après tant d'années écoulées ! Et moi je ne pouvais... De terreur, les cheveux hérissés, je courus, je fuis, je me tirai de là, dans un acte de démence. Parce qu'il me sembla venir : de l'au-delà. Et je me demande, demande, demande pardon.

Je souffris le grave froid des peurs, je tombai malade. Je sais que personne n'eut plus de ses nouvelles. Suis-je un homme, après cette défaillance ? Je suis celui qui ne fut pas, celui qui se taira désormais. Je sais que maintenant c'est trop tard, et je crains que ma vie ne s'abrège dans les déserts du monde. Mais, alors, au moins, qu'à l'article de la mort, on me prenne et on me dépose aussi dans une petite barque de rien du tout, dans cette eau, aux longues rives, qui ne s'arrête pas : et moi dans le fleuve à vau-l'eau, en aval, en amont - le fleuve.


Extrait de
La troisième rive du fleuve
1962
Traduit par Ines Oséki Depré
Premières histoires
Editions Métaillé.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour! Où est-ce-que je peux trouver le texte en entier? Merci!